Chef opérateur, réalisateur, scénariste… Xiang, diplômé de 3iS en 2010, est aujourd’hui un réalisateur célèbre en Chine. Le film Lost in the Stars (消失的她), qu’il a co-réalisé avec le cinéaste Cui Rui, a rencontré un large succès au box office et a profondément touché le public. Dans cet entretien, il revient sur son parcours, les leçons apprises à 3iS, les défis de ses premiers films, et les valeurs qui l’animent encore aujourd’hui. Rencontre avec un cinéaste qui conjugue exigence technique et liberté artistique.

Xiang, vous êtes un alumni de 3iS de la promo 2010. Quel a été le cours le plus marquant de votre scolarité ? Un souvenir en particulier où vous avez eu une révélation ?
J’ai appris plein de choses très utiles à 3iS, et franchement, presque tout m’a servi ensuite dans mon travail. Mais le cours qui m’a le plus marqué, c’était celui de François Bouiri, un exercice de tournage très simple. On devait filmer deux personnes qui se croisent dans la rue, ou qui se parlent, en changeant les angles et les manières de filmer.
Sur le moment, je ne voyais pas trop l’intérêt, je trouvais ça presque ennuyeux. Mais plus tard, en travaillant comme chef opérateur, j’ai compris à quel point ces petites scènes, les plus simples en apparence, sont le cœur du travail. C’est justement dans ces instants « ordinaires » qu’on doit trouver du rythme, de l’émotion, de l’intention. Finalement, ce cours m’a beaucoup servi.
Avant le cinéma, vous aviez des affinités avec la biologie. À quel moment le choix du cinéma s’est-il imposé comme une nécessité ? Qu’est-ce qui a déclenché cette décision ?
C’était au début des années 2000. Les caméras DV devenaient accessibles, les logiciels de montage aussi, comme Final Cut, Premiere ou After Effects. Du coup, plein de gens se sont mis à tourner des courts-métrages, moi y compris.
Et surtout, je découvrais un nouveau langage narratif avec les films à structure non linéaire. Je me suis dit : “Wow, le cinéma, c’est pas juste raconter une histoire, c’est inventer des formes, explorer. ” C’est à ce moment-là que j’ai su que je voulais vraiment faire ça.
Comment s’est déroulé votre retour en Chine après vos études en France ? Comment avez-vous débuté votre carrière là-bas ?
Le retour a été dur. Les manières de travailler dans le cinéma sont très différentes entre la France et la Chine. En Chine, à l’époque, l’industrie était encore en construction. Tout allait plus vite, parfois trop vite.
Je me souviens : en France, on tournait 10 ou 12 plans par jour. Mon premier jour de tournage en Chine, j’ai fait… 75 plans ! Un jour, on a même tourné pendant 36 heures d’affilée. C’était dingue. Je ne suis pas du tout pour cette manière de faire. Quand j’ai pu réaliser mes propres films, j’ai essayé d’imposer un rythme plus humain.
Quelles ont été les coulisses du tournage de votre thriller « Bu su lai ke » ? Quel plan a été le plus complexe à réaliser ?
Oh, c’était il y a longtemps, j’ai oublié pas mal de choses (rires). Mais je me rappelle d’un plan très chiant à faire : une contre-plongée depuis le 5e étage, pour filmer une scène au rez-de-chaussée. Le bâtiment était en ruine, pas d’ascenseur, que des escaliers… Et on n’avait qu’une nuit pour tourner. Je n’ai fait que monter et descendre, toute la nuit. Un vrai sport !

Sur « Bu su lai ke » vous étiez à la fois réalisateur, chef opérateur, et parfois scénariste. C’est courant en Chine ? Comment gérez-vous tout cela ? Les producteurs étaient-ils rassurés ?
Non, ce n’est pas courant du tout. Mais là, le budget était serré, on n’avait que 3 semaines de tournage, et les décors étaient simples. Alors je me suis dit : allez, je le fais.
J’avais deux talkies : un pour le staff réal, un pour l’équipe image. J’installais la lumière, je parlais aux acteurs, je faisais les réglages… C’était super intense. Parfois, j’ai même lancé deux équipes en parallèle. Avec les producteurs, je faisais style que tout allait bien. Heureusement, au final, ça s’est bien passé.
Je conseille d’ailleurs aux réalisateurs de parler directement avec les acteurs, et pas juste via talkie-walkie. C’est important.
Quels sont vos prochains projets cinématographiques ? Une date de tournage ?
Normalement, je devrais tourner un thriller en octobre, dans le nord de la Chine. Et j’ai aussi un projet de science-fiction en préparation.
Seriez-vous ouvert à accueillir des étudiants de 3iS pour un making-of ou au sein de votre équipe ?
Avec plaisir. Ça fait longtemps que j’ai quitté la France, j’aimerais beaucoup avoir des échanges avec les étudiants et voir ce qui se passe dans le cinéma français aujourd’hui.
Quels cinéastes ou films vous ont le plus influencé ?
J’ai été très marqué par Johnnie To et l’équipe de la Milkyway Image. Leur manière d’aborder le destin, la mise en scène, leur imagination visuelle, tout me parle beaucoup.
Cela dit, j’aime aussi sortir de mes influences et explorer des genres que je ne connais pas.

Des formations reçues à 3iS qui vous servent encore aujourd’hui ?
Franchement, presque tout ! Ce que j’ai trouvé super utile, c’est qu’on nous forçait à apprendre un peu de tout : même si j’étais en image, j’ai dû bosser le son, le montage…
Sur le moment, ça m’embêtait, mais aujourd’hui je vois à quel point c’est essentiel, surtout quand on devient réalisateur. Le métier, c’est surtout de la communication entre les différents départements.
Comment percevez-vous l’évolution du cinéma chinois ?
De 2012 à 2019, c’était la grande croissance. L’industrie se structurait. Mais ces dernières années, on est plutôt en phase de ralentissement. Ce n’est pas négatif, c’est un moment de réajustement.
Le public veut encore du cinéma, mais pas n’importe quoi. Il veut des histoires nouvelles, des points de vue différents. Ça pousse les auteurs à se renouveler.
Votre double culture influence-t-elle votre travail ?
Oui, beaucoup. Déjà, je vois le cinéma comme quelque chose de presque « sacré ». Ce n’est pas juste un outil pour raconter une histoire ou faire de l’argent. C’est un objectif en soi, un idéal.
Je pense qu’on ne peut pas se satisfaire trop facilement, sinon le film devient creux.
Un conseil pour un étudiant qui veut bosser à l’international ?
Ne pas attendre le projet parfait. Il n’existe pas. Même les grands réalisateurs ne travaillent jamais dans des conditions 100% idéales.
Faut juste tourner, avec ce qu’on a. C’est comme ça qu’on progresse. Saisir les occasions, même si elles sont imparfaites.
Votre manière de diriger les acteurs ?
J’évite de leur dire exactement quoi faire. Je préfère leur proposer une image, une situation, un ressenti.
Par exemple, dans « Lost in the Stars », il y a une scène où un personnage trouve un cadavre sous l’eau. Plutôt que de lui dire « tu trouves un corps », je lui ai dit : « pense à une cérémonie, comme un enterrement ». Ça change tout.

Votre philosophie sur la lumière et le cadre ?
La caméra, c’est l’œil de Dieu ou de l’inconscient du personnage. La manière dont elle bouge, la lumière qu’on met, c’est ce qui raconte les émotions.
Il ne s’agit pas juste d’être esthétique, mais de transmettre : admiration, rejet, amour, peur…
Les défis spécifiques au tournage en Chine ?
Il y en a. Le principal, c’est le manque de stabilité chez les techniciens. Beaucoup changent de métier, car les salaires sont très inégaux. Donc il y a moins d’expérience accumulée.
Et puis les tournages sont souvent très intenses, trop longs. Du coup, le réalisateur ou le chef op doit être ultra préparé, savoir exactement ce qu’il veut.
Comment choisissez-vous les projets comme chef op ? Qu’est-ce qui vous attire dans un scénario ?
Je dis toujours « je regarde le cachet » (rires), mais en vrai, c’est le scénario. J’aime les histoires qui ont un truc un peu décalé, pas trop sérieuses, mais pleines d’imagination.
Peu importe le genre, ce qui m’attire, c’est la manière de raconter.
Un rêve de cinéma que vous aimeriez réaliser un jour ?
Pas de film parfait, non. Le cinéma, c’est toujours une perte en chemin entre le script et l’écran. Mon rêve, ce serait de faire un film qui se rapproche le plus possible des images que j’ai eues en tête la première fois que j’ai lu le scénario.
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